Économie
Le rôle de l’État et la politique budgétaire : dépenses, impôts, déficits et dette publique
3 sept. 2025

Aujourd’hui, dans la plupart des pays dits développés comme la France, les États-Unis ou le Royaume-Uni, l’État est devenu l’acteur majeur de la vie économique.
La part des prélèvements obligatoires y avoisine 50 % du PIB : autrement dit, la moitié de la richesse produite sert à financer la dépense publique. Le déficit budgétaire est désormais chronique, et la dette publique continue de croitre d’année en année.
Ainsi, par ses dépenses, ses impôts et ses choix de financement, l’État influence directement la croissance, l’emploi, l’inflation, la répartition des revenus… et donc l’environnement dans lequel évoluent les investisseurs.
La politique budgétaire – c’est-à-dire l’ensemble des décisions relatives aux recettes et aux dépenses – est l’un de ses principaux leviers d’action.
L’État, garant du cadre économique
Avant de parler de fiscalité ou de dépenses publiques, nous nous devons de rappeler une évidence sur laquelle a été construite l’économie de marché : l’État est le garant du cadre dans lequel les entreprises et les ménages évoluent.
Détenteur du « monopole de la violence légitime » (ou monopole de la force physique légitime selon Weber) qui lui confère la capacité par la contrainte à faire respecter un certain nombre de normes et de prérogatives, l’Etat, par ses lois et ses institutions crée un environnement de confiance sans lequel les échanges économiques seraient impossibles.
Plus concrètement, il pose un cadre juridique dont les aspects spécifiques liés à l’entreprise sont :
Le droit de propriété qui assure qu’un bien acheté appartient bien à son acquéreur, sans contestation possible.
Le droit des contrats qui garantit que les accords conclus entre entreprises, clients ou fournisseurs sont respectés et exécutoires.
Le droit du travail qui fixe les règles de production afin que celle-ci se fasse dans des conditions jugées équitables et sûres.
Autrement dit, l’État ne se contente pas d’intervenir par ses dépenses ou sa fiscalité : il pose les bases juridiques et institutionnelles qui rendent le marché viable et prévisible.
Deux grandes doctrines : du « laisser-faire » à l’Etat régulateur
Le courant libéral : un État minimal
Le libéralisme économique repose sur plusieurs fondements tels que : l’État de droit, la protection de la propriété privée, la liberté contractuelle et la liberté des prix.
Comme l’ont souligné Hayek ou Milton Friedman, la propriété est le « droit humain fondamental » qui conditionne tous les autres, et les prix constituent le langage par lequel des millions d’individus coordonnent leurs choix afin d’arriver à un consensus.
Pour les libéraux classiques tels que Locke, Turgot, Smith, ou encore Condillac, le marché peut s’autoréguler dans une économie dès lors que la concurrence y est effective.
Le rôle légitime de l’État se limite alors aux fonctions régaliennes (justice, sécurité, défense) et peut éventuellement à la marge s’étendre à certaines infrastructures non rentables (chemins de fer, réseau électrique, etc.) pour le secteur privé.
L’idée centrale de ce courant est qu’une intervention publique trop importante perturbe les signaux donnés par les prix de marché, freine l’initiative privée des entrepreneurs et finit par dégrader l’efficacité globale de l’économie et l’innovation (via un taux d’imposition punitif, une dette trop grande, une réglementation accrue, etc.).
Les courants dits néo-libéraux des années 1970 ont renforcé cette vision : ils insistent sur les dangers des déficits chroniques (effet d’éviction, emballement de la dette) et prônent des règles strictes pour éviter les dérives (discipline budgétaire, limitation des interventions discrétionnaires, déréglementation).
En résumé, pour un libéral, l’État doit protéger le cadre légal – propriété, contrats, concurrence – mais s’abstenir de diriger l’économie.
Le courant interventionniste : un État stabilisateur
La crise de 1929 et l’entre-deux guerres ont profondément remis en cause l’idée d’une autorégulation spontanée des marchés.
Pour Keynes, le chômage de masse n’est pas dû à un manque de flexibilité du marché du travail (notamment la rigidité des salaires) mais à une demande globale insuffisante, liée à une faiblesse chronique potentielle de l’investissement privé.
En effet, le taux d’emploi dans l’économie n’est pas déterminé tant par l’équilibre sur le marché du travail que par les anticipations des entreprises sur le niveau futur de la demande globale.
La monnaie et le taux d’intérêt jouent alors un rôle central dans ces déséquilibres : contrairement aux théories qui admettaient leur neutralité, ils peuvent piéger l’économie dans un équilibre de sous-emploi.
La réponse Keynésienne est ainsi justifiée : afin de rétablir le plein emploi dans le court terme, l’État doit jouer un rôle conjoncturel, en soutenant la demande lors des récessions et en freinant la surchauffe lors des expansions. Cela implique d’accepter des déficits temporaires et de recourir activement à la dépense publique.
Le marché du travail ou des capitaux ne peut donc pas être laissé à ses seuls mécanismes d’offre et de demande : ils doivent être complétés par une politique macroéconomique active.
Dans la réalité, la plupart des économies avancées essayent de combiner ces deux approches. Elles s’appuient sur la logique du marché pour allouer efficacement les ressources dans de nombreux domaines, mais confient à l’État un rôle central là où le marché semble échouer : biens publics, redistribution, stabilisation des cycles.
Les trois fonctions économiques de l’État
L’économiste Américain Richard Musgrave classe les fonctions économiques de l’Etat en trois grandes catégories :
L’allocation des ressources : l’Etat assure le bon fonctionnement de ses fonctions régaliennes (justice, sécurité, défense) et produit ou finance des biens et des services non marchands que le marché n’offre pas efficacement (biens publics purs comme la défense ou l’éclairage public, externalités positives comme l’éducation, infrastructures, R&D). L’objectif étant d’améliorer l’efficacité productive et le bien-être collectif.
La redistribution des revenus : l’Etat modifie la répartition primaire des revenus via l’impôt et les revenus de transfert (assurance chômage, retraite, santé, minima sociaux) dans le but de réduire la pauvreté et lisser les risques individuels (maladie, vieillesse, perte d’emploi) sans désinciter excessivement le travail et l’investissement.
La stabilisation de l’économie : l’Etat cherche à amortir les fluctuations conjoncturelles (chômage/inflation) afin de rapprocher l’économie de ses équilibres de long terme (croissance soutenable, stabilité des prix, soutenabilité externe).
Les instruments de la politique budgétaire
Pour mettre en œuvre sa politique budgétaire, l’État dispose principalement de trois leviers :
Les dépenses publiques : salaires des fonctionnaires, investissements, subventions, prestations sociales. Elles agissent directement sur la demande globale et, lorsqu’il s’agit d’investissements en infrastructures, éducation ou recherche, sur l’offre future (capital humain et productif).
La fiscalité : impôts sur le revenu, sur les sociétés, TVA, taxes sur le capital. Au-delà de leur fonction de financement, les impôts sont aussi un outil d’incitation : en modulant la pression fiscale, l’État influence les choix de consommation, d’épargne, d’investissement ou encore la transition énergétique.
Le solde budgétaire (déficit ou excédent) : en période de ralentissement, l’État peut volontairement dépenser davantage qu’il ne prélève pour soutenir l’activité. À l’inverse, en période d’expansion, il peut chercher à réduire son déficit afin d’éviter la surchauffe de l’économie.
Le mécanisme du multiplicateur keynésien
Depuis Keynes, le déficit budgétaire n’est alors plus perçu uniquement comme une dérive de l’Etat mais au contraire comme un outil de stabilisation. L’idée simple repose sur le mécanisme du multiplicateur : une dépense publique supplémentaire génère un revenu qui dépasse son montant initial, car chaque euro dépensé circule dans l’économie et engendre de nouvelles dépenses.
Par exemple, l’État lance un programme de travaux publics. Les entreprises du BTP reçoivent des revenus, embauchent et distribuent des salaires. Ces salaires sont alors en partie consommés (achats de biens et services), ce qui soutient d’autres entreprises, lesquelles investissent à leur tour et recrutent. Chaque cycle alimente ainsi la demande globale.
L’effet est d’autant plus fort que :
la propension à consommer (plutôt qu’à épargner) est élevée,
la fiscalité n’absorbe pas trop vite les revenus supplémentaires,
et que la demande profite essentiellement à des entreprises nationales (plutôt qu’aux importations).
Ainsi, une politique budgétaire volontariste en période de crise peut compenser la faiblesse de l’investissement privé, stimuler la croissance et, paradoxalement, réduire le déficit budgétaire à moyen terme grâce à la hausse des recettes fiscales.

Deux familles de politiques : conjoncturelles et structurelles
L’État peut intervenir à deux horizons : le court terme, pour lisser les fluctuations du cycle économique, ou le long terme, pour améliorer en profondeur l’efficacité du système productif.
Les politiques conjoncturelles (court terme)
Relance : en période de ralentissement, l’État peut adopter une politique budgétaire expansionniste, ce qui consiste à augmenter les dépenses publiques et parfois réduire la fiscalité afin de stimuler la demande et soutenir l’emploi. Ces mesures peuvent prendre la forme de subventions, d’investissements publics supplémentaires ou d’allégements fiscaux ciblés sur les secteurs en difficulté.
Rigueur/stabilisation : à l’inverse, en période de surchauffe ou d’inflation élevée, l’État peut mener une politique budgétaire restrictive, souvent appelée politique de rigueur. L’objectif est de freiner la demande globale et de restaurer la crédibilité des finances publiques, en réduisant le déficit budgétaire (coupes de dépenses, hausses d’impôts).
Ces politiques conjoncturelles ont cependant leurs limites : le temps de décision est souvent long, leur mise en œuvre peut être retardée, et elles dépendent de contraintes de financement et de la coordination avec la politique monétaire. De plus, les choix politiques eux-mêmes peuvent freiner ou amplifier leur efficacité.
Les politiques structurelles (long terme)
À côté de ces actions conjoncturelles, l’État peut mener des réformes dites structurelles. Celles-ci visent à améliorer durablement l’offre et la compétitivité de l’économie : rendre le marché du travail plus flexible, renforcer la concurrence, investir dans l’éducation, la recherche et les infrastructures, stimuler l’innovation, simplifier l’environnement administratif et réglementaire.
L’objectif est donc de relever la croissance potentielle à long terme et accroître la capacité de l’économie à financer durablement son modèle social.
Où placer le curseur ?
Comme nous avons pu le voir précédemment, deux visions s’affrontent ici :
La vision libérale : elle donne la priorité à la discipline budgétaire, à la stabilité des règles et à la confiance dans le rôle régulateur des prix. L’intervention publique ne doit se justifier que dans des cas bien précis : par exemple la correction d’externalités, le financement de biens publics, ou encore la régulation de monopoles naturels. Toute dépense excédentaire est donc perçue comme une source de déséquilibre et d’inefficacité.
La vision interventionniste : elle favorise la stabilisation macroéconomique et la lutte contre les déséquilibres sociaux. Dans cette logique, l’État doit investir massivement, soutenir la demande en période de crise, et réduire les inégalités quand le marché ne parvient pas à assurer un optimum social.
Dans la pratique, le point d’équilibre dépend de nombreux facteurs tels que le niveau d’endettement d’un pays, sa démographie, la solidité de ses institutions, mais aussi sa position dans le cycle économique ainsi que ses choix collectifs en matière de redistribution ou de protection sociale.
Dans le cas de la France, cet arbitrage est encadré (en théorie) puisqu’elle appartient à la zone euro. En effet, l’adoption de la monnaie unique implique de respecter une discipline budgétaire fixée par le traité de Maastricht (1992) et le pacte de stabilité et de croissance (1997, révisé en 2005). Ces règles visent à garantir la soutenabilité des finances publiques et à éviter que la politique budgétaire d’un pays ne pénalise l’ensemble de l’Union monétaire par une hausse des taux d’intérêt ou une pression sur la valeur de l’euro.
Concrètement, le déficit public – c’est-à-dire l’ensemble des déficits cumulés de l’État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale – ne doit pas dépasser 3 % du PIB. Ce seuil symbolique qui n’est plus respecté depuis longtemps illustre bien le dilemme : d’un côté, la nécessité de contenir la dette et de préserver la stabilité des finances publiques ; de l’autre, le besoin d’utiliser l’outil budgétaire pour amortir les chocs économiques et sociaux générés par les différentes crises.
Quel intérêt pour l’investisseur ?
Au-delà de la simple curiosité intellectuelle ou de la culture générale, comprendre les fondamentaux de la politique budgétaire représente un intérêt pour l’investisseur.
En effet, les décisions de l’État en matière de dépenses et de recettes ne sont pas neutres sur la conjoncture : celles-ci influencent directement les cycles économiques, la croissance, l’inflation, et donc la valorisation des actifs financiers.
Il convient de distinguer quelques types d’impacts essentiels :
Taux d’intérêt et courbe des taux : lorsqu’un État enregistre des déficits élevés et répétés, il se trouve contraint d’emprunter davantage sur les marchés. Cette demande accrue de capitaux peut alors exercer une pression haussière sur les taux d’intérêt à long terme, en particulier si la confiance des investisseurs s’effrite. La politique monétaire peut atténuer cet effet, mais l’anticipation des déficits reste un déterminant clé de la courbe des taux, et donc de la valorisation des obligations et des actions.
Fiscalité future : un déséquilibre persistant entre recettes et dépenses publiques nécessitera tôt ou tard un ajustement fiscal. Cela peut alors se traduire par des hausses d’impôts sur le revenu, sur les sociétés, ou sur le capital. Pour l’investisseur, cela conditionne directement les rendements nets, après fiscalité.
Ciblage sectoriel : les choix budgétaires ne sont bien sûr pas uniformes. L’État à tendance à orienter des flux massifs vers certains secteurs comme la transition énergétique, les infrastructures, la santé, la défense, le numérique… Ces priorités créent donc des opportunités d’investissement ainsi que des risques pour les secteurs délaissés ou pénalisés par la réglementation et la fiscalité.
Croissance potentielle : toutes les dépenses publiques n’ont pas le même impact. Les dépenses d’éducation, de recherche ou d’infrastructures contribuent à relever la productivité et donc la croissance de long terme (ceci reste encore à prouver), ce qui soutient la rentabilité future des entreprises. À l’inverse, des dépenses mal proportionnées ou purement démagogiques politiquement accroissent la dette sans améliorer la capacité de production globale.
Soutenabilité et prime de risque : enfin, la trajectoire globale des finances publiques influence la perception de risque d’un pays. Evidemment, une dette gérée de façon crédible réduit la prime de risque exigée par les investisseurs, c’est-à-dire les taux d’intérêts moyen et long terme en particulier. À l’inverse, des dépenses publiques non maitrisées augmentent la volatilité des taux d’intérêt et pèse sur la valorisation des actifs domestiques.
Ainsi, suivre la politique budgétaire ne revient pas seulement à analyser l’action de l’État : c’est aussi anticiper des tendances de marché qui influencent directement les taux d’intérêt, les taux de change, et donc le couple rendement/risque des actifs financiers.
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